Colloque sur la réforme du franc CFA en Afrique de l'Ouest: La Reforme Du Franc CFA

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January 11, 2022

Un accord de coopération entre les pays membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine et la France en date du 21 décembre 2019 (l’« Accord de 2019 ») annonce la fin du franc CFA. Qu’en est-il?

Né le 26 décembre 1945 par décret français du General De Gaulle[1], le franc CFA est la monnaie actuelle de 14 pays africains. En Afrique de l’Ouest, le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, constituent la zone franc de l’Union Monétaire Ouest Africaine (l’« UMOA »). La zone franc de l’UMOA était régie jusqu’alors par l’Accord de coopération entre la France et les pays membres de l’UMOA du 4 décembre 1973 (ci-après « Accord de 1973») et d’une Convention de compte d'opérations conclue entre le Ministre de l'Économie et des Finances de la République française et le Président du Conseil des Ministres de l'UMOA, agissant pour le compte de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (la « BCEAO »)[2].

Cette coopération monétaire entre la France et l’UMOA était fondée sur 4 principes clés :
- La France est garante de la convertibilité illimitée du franc CFA (Article 1, Accord de 1973) La libre convertibilité du franc CFA est assurée par un compte d'opérations ouvert auprès du Trésor Public français par la BCEAO. En cas d’épuisement des réserves en devise de la BCEAO, cette dernière a un droit de tirage illimité auprès du Trésor Public français. Le Trésor Public français s’engage alors à apporter les sommes nécessaires pour éviter le défaut de paiement de la BCEAO.

Sur ce point, il y a lieu de préciser que la garantie de convertibilité n’est pas une garantie de l’Etat français mais bien un simple droit de tirage auprès du Trésor Public Français, soit un prêt. En effet, une garantie de l’État, au sens de l’article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finance, est un engagement par lequel la France accorde caution à un organisme, en garantissant au prêteur le remboursement en cas de défaillance du débiteur. La France supporte alors le risque de défaut de l’emprunteur ce qui aurait donc un impact sur ses comptes publics.

Afin de suivre le risque d’activation de la garantie de convertibilité, la France siège au Conseil d’Administration de la BCEAO, au Comité de Politique Monétaire de la BCEAO ainsi qu’à la Commission Bancaire de l’UMOA. La France dispose, dans chacune de ces trois instances, d’un droit de vote.

- La fixité des parités entre l’euro et le franc CFA (Article 2, Accord de 1973)
La valeur du franc CFA par rapport à l’euro ne change pas : 1 FCFA = 0,0015 Euros (soit 1 EUR = 491,96775 FCFA).

- La centralisation des réserves de change (Article 3, Accord de 1973)
En contrepartie du droit de tirage auprès du Trésor Public français, la BCEAO doit déposer sur le compte d'opérations une part de ses réserves de change. Une convention de compte d’opérations précise les modalités de la centralisation des réserves de change et de l’activation de la garantie. Elle n’est cependant pas accessible au public.

- La libre transférabilité. Les transferts sont, en principe, libres à l’intérieur de l’UMOA.

Une Mise a Jour des Relations Entre la France et L'umoa

Le 21 décembre 2019, les huit membres de l’UMOA et la France signent un accord modifiant les modalités de leur coopération monétaire. D’emblée, il y a lieu de relever que l’Accord de 2019 ne porte que sur les huit pays de l’UMOA. Il n’affecte pas, pour l’instant, la Zone Franc de la CEMAC composée du Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale et le Tchad.

En soi, l’Accord de 2019 préserve la parité fixe du franc CFA avec l’euro et la garantie de convertibilité prévu par l’Accord de 1973 (Préambule de l’Accord de 2019). L’essentiel du système monétaire du franc CFA est explicitement maintenu (Article 2 de l’Accord de 2019). A contrario, les changements annoncés dans l’Accord de 2019 sont, pour l’instant, partiels et incomplets.

Sur le changement de nom de la monnaie

Le franc CFA change de nom et devrait passer de « franc CFA » à « ECO ». Toutefois, alors que le changement du nom de la monnaie n’est mentionné qu’au préambule de l’Accord de 2019, le terme « ECO », nouveau nom du franc CFA, n’y apparait pas. Très clairement, le changement de nom de la monnaie n’est pas l’objet de l’Accord 2019 et n’annonce en rien une fin du franc CFA.

Sur L’arrêt de la Centralisation des Réserves de change de la BCEAO Auprès du Trésor Français et la Fermeture du Compte D'opération

La centralisation des réserves de change est, en principe, la contrepartie de la garantie de convertibilité octroyée par la France. A l’instar du changement de nom de la monnaie, l’arrêt de la centralisation des réserves de change de la BCEAO auprès du Trésor Public français et la fermeture du compte d'opérations ne sont pas explicitement mentionnés dans les dispositions obligatoires de l’Accord de 2019. Seul l’article 10 de l’Accord de 2019 nous informe que les montants restants centralisés par la BCEAO sur le compte d’opérations sont transférés sur un ou plusieurs comptes que la BCEAO désigne. Toutefois, ce n’est qu’au préambule de l’Accord de 2019 que l’on note que les parties ont convenu de supprimer le mécanisme du compte d’opérations et partant, de le remplacer par un ou plusieurs autres comptes. C’est un choix de rédaction pour le moins surprenant tant le sujet est sensible et essentiel à la garantie de convertibilité. La finalité de la nouvelle centralisation des réserves de change n’est pas non plus explicitée…

Le Retrait des Représentants de la France des Instances de Gouvernance de L’UMOA.

L’Accord de 2019 est avant tout une modification des relations entre l’UMOA et la France. La France se retire du Conseil d’Administration et du Comité de Politique Monétaire de la BCEAO ainsi que de la Commission bancaire de l’UMOA (Article 10, Accord de 2019). C’est un changement majeur.

Pourtant, cette nouveauté est nuancée par des mécanismes de dialogue et de surveillance permettant à la France de gérer le risque d’un prêt remboursable à la BCEAO. En outre, le Comité de Politique Monétaire comprendra une personnalité indépendante, nommée intuitu personae en concertation avec la France. Cette personnalité prendra part aux délibérations du Comité de Politique Monétaire de la BCEAO (Article 4, Accord de 2019). La BCEAO devra également transmettre régulièrement à la France des informations dont le contenu et les modalités de transmission seront précisés par échange de lettres. Des rencontres techniques seront organisées en tant que besoin entre la France et les pays membres de l’UMOA.[3]

Enfin, lorsque les conditions le justifient ou afin de prévenir ou gérer une crise, la France tout comme les pays membres de l’UMOA peut également requérir la tenue d’une réunion des pays membres de l’union. En cas de crise[4], l’Accord de 2019 prévoit également le retour d’un représentant de la France au sein du Comité de Politique Monétaire de la BCEAO et ce, pour la durée nécessaire à la gestion de la crise (Article 8, Accord de 2019).

Le retrait des représentants de la France des instances de gouvernances de la BCEOA ne l’est donc qu’en apparence tant les mécanismes sont nombreux pour que celle-ci puisse maintenir son influence dans la gestion de la monnaie dont elle est garante.

Fin Ou Expansion Du FCFA?

L’Accord de 2019 s’inscrit explicitement dans le cadre du projet de création d’une monnaie unique de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (la « CEDEAO ») : l’ECO [5]. L’Eco de la CEDEAO et l’Eco de l’UMOA sont deux monnaies différentes. Pourtant, l’Accord 2019 est censé aller dans le sens de la création de cette nouvelle monnaie régionale de la CEDEAO.

La CEDEAO est composée de 15 pays [6] dont la majorité sont de l’UMOA. On y compte également de grandes économies africaines telles que le Ghana ou le Nigeria. Il est peut-être là la raison du retrait en apparence de la France des instances de gouvernance de l’UMOA. En effet, en dehors des cas de crise, la France ne dispose plus de droit de vote dans le Conseil d’Administration et dans le Comite Monétaire Politique de la BCEAO. La France n’en reste pas moins garante de la convertibilité de la monnaie des huit pays de l’UMOA. Avant ou après l’Accord de 2019, c’est en cas de crise que la politique monétaire de l’UMOA prend toute son importance. Avant comme après l’Accord de 2019, la France prendra part aux décisions les plus importantes de l’UMOA. Or, le projet de la CEDEAO n’inclut pas la France, ni comme pays membre, ni comme garant. L’alliance de deux monnaies régionales apparait donc impossible.

La question est donc de savoir si l’UMOA abandonnera le franc CFA pour joindre l’ECO de la CEDEAO ou si une nouvelle version du franc CFA deviendra la monnaie unique de la CEDEAO ?


[1] Decret no 45-0136 et publie au Journal Official francais du 26 decembre 1945.

[2] La Convention de compte d'operations est inaccessible au public. Plus d'informations dans la Note d'Information de la Banque de France <La Zone Franc>, Septembre 2017

[3] Articles 4, 5 et 6 Accord de cooperation entre les gouvernements des Etats membres de l'Union Monetaire Ouest-Africaine et le Gouvernement de la Republique Francaise du 21 decembre 2019.

[4] Lorsque le rapport entre le montant moyen des avoirs exterieurs de la BCEAO et le montant moyen de ses engagements a vue devient inferieur ou egal a 20%

[5] Preambule de l'Accord de 2019

[6] Benin, Burkina Faso, Cote d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinee, Guinee-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Senegal, Sierra Leone, Togo, Cap- Vert