Novembre 24, 2025
Introduction
L'intégration économique régionale entendue comme « un processus qui conduit plusieurs économies distinctes à former un seul espace économique » (Beitone, Cazorla, Dollo, Drai, Dictionnaire de science économique, p. 290) régional représente un enjeu majeur pour le développement des États. Cette intégration économique est organisée en degrés correspondants aux différentes formes d’intégration. L’un de ses premiers degrés d’intégration est appelé la zone de libre-échange (Elsa Tapsoba, Intégration économique et normes internationales du travail en Afrique de l’Ouest (UEMOA) p.18). Celle-ci correspond à la zone dans laquelle est assurée l’abolition des droits de douane et des barrières non tarifaires entre les pays membres d’une communauté avec toutefois une indépendance des politiques tarifaires extérieures. Il existe plusieurs zones de libre-échange à travers le monde telles que L’Accord de Libre Échange Nord-Américain, le MERCOSUR,Partenariat Économique Régional Global (Regional Comprehensive Economic Partnership Agreement en anglais) et la liste n’est pas exhaustive. Cependant, cette contribution se concentrera sur la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) qui est un accord commercial, conclu en 2018 et visant à créer un marché unique pour les biens et les services en Afrique. Cet Accord vient s’ajouter aux autres accords instituant des zones de libre-échange au sein des différentes communautés économiques régionales en Afrique. Une telle situation suscite des interrogations relatives notamment aux rapports entre l’Accord continental et les communautés économiques : La coexistence entre la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) et les Communautés économiques régionales est-elle suffisamment encadrée ? Un examen minutieux de la ZLECAf révèle un encadrement insuffisant de cette coexistence (1). Ce qui laisse subsister un certain nombre de divergences notamment en ce qui concerne les règles d’origine (2) et les autres barrières non tarifaires (3). Quelques recommandations viendront clore l’analyse (4).
1. Un encadrement insuffisant de la coexistence entre la ZLECAf et les CER dans le texte de l’Accord ZLECAf
D’emblée, il faut souligner que la ZLECAf reconnaît l’existence des CER africaines. Plus exactement, l’article 1 de l’Accord ZLECAf mentionne expressément les huit CER reconnues par l’Union Africaine à savoir l’Union du Maghreb arabe (UMA), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté des États sahélo-sahéliens (CEN-SAD), la Communauté d’Afrique de l'Est (CAE), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Ensuite, l’article 5 de l’Accord ZLECAf, sur les principes de fonctionnement de la ZLECAf, aborde aussi la question de la coexistence : Ainsi les Zones de libre-échange (ZLE) des CER sont reconnues comme « piliers » de la ZLECAf. Quels sont les implications de cette reconnaissance des CER comme piliers de la ZLECAf ? Egalement, de meilleures pratiques au sein des CER sont prises en compte. Comment s’effectue cette prise en compte ? L’Accord ZLECAf ne fournit pas de précisions supplémentaires sur ces principes de fonctionnement. Enfin, l’analyse de l’Article 19 de l’Accord ZLECAf est particulièrement intéressante : Son premier alinéa pose le principe de la primauté de l’Accord ZLECAf sur les CER. L’article 19(1) dispose qu’en cas de « conflit et d’’incompatibilité entre le présent Accord et tout autre accord régional, le présent Accord prévaut dans la mesure de l’incompatibilité spécifique, sauf dispositions contraires du présent Article ». Toutefois, cette primauté est atténuée à l’article 19(2) qui encourage les États parties, membres d’autres communautés économiques régionales, et qui ont atteint entre eux des niveaux d’intégration régionale plus élevés que ceux prévus par le présent Accord, à maintenir ces niveaux entre eux. Cet article est problématique étant donné que la plupart des huit CER ont atteint des niveaux d’intégration régionale plus élevés que ceux prévus par l’Accord ZLECAf, complexifiant ainsi la coexistence et laissant transparaitre des obstacles a priori difficilement surmontables. L’on constate ainsi que l’intégration économique africaine, portée par la ZLECAF, se heurte à la coexistence de cadres réglementaires distincts issus des Communautés Économiques Régionales (CER), créant des obstacles à l’harmonisation des politiques commerciales notamment en ce qui concerne les barrières non tarifaires qui se définissent comme des « obstacles qui entravent le commerce par des mécanismes autres que l’imposition de tarifs douaniers ». Ces barrières non tarifaires (BNT) renvoient à un large éventail de réglementations et de procédures restrictives, imposées par les autorités gouvernementales, qui rendent l'importation ou l'exportation de produits difficiles et/ou coûteuses. Parmi ces BNT, les règles d’origines seront particulièrement scrutées avant les autres BNT.
2. L’absence d’harmonisation immédiate des règles d’origine entre les CER et la ZLECAf
Les règles d’origine, qui constituent un élément clé de tout accord de libre-échange et déterminent quel est le pays source d’un produit ou d’un service destiné à l’exportation, sont essentielles pour bénéficier des préférences tarifaires. Cependant, elles varient d’une CER à l’autre. Par exemple, l’Accord ZLECAf prévoit une autre approche : En effet, un produit est considéré comme originaire de la ZLECAf s’il répond à l’un des deux critères définis dans l’Annexe 2 sur les Règles d’origine et son Appendice IV. Premièrement, un produit est qualifié d’originaire s’il est entièrement obtenu dans un Etat membre, c’est-à-dire qu’il ne contient aucun intrant importé (les produits agricoles récoltés localement, les minéraux extraits du sol etc.). Deuxièmement, un produit est qualifié d’originaire s’il a subi une transformation substantielle dans un ou plusieurs Etats membres de la ZLECAf. Cette transformation est évaluée selon plusieurs critères : d’abord sur le changement de classification tarifaire, un produit est réputé originaire si, à l’issue de la transformation, il appartient à une position tarifaire différente de celle des intrants non originaires. Par exemple, du cacao brut importé classé sous une position tarifaire spécifique devient chocolat fini relevant d’une autre position. Ce changement traduit une modification substantielle de la nature du produit ; puis le pourcentage de valeur ajoutée, qui fixe un seuil minimal souvent compris entre 30 % et 40 %de valeur générée localement dans le prix final du produit. Ce calcul inclut la main-d’œuvre, les matières premières locales et les coûts de production réalisée au sein des États membres. Ainsi, un vêtement assemblé à partir de tissus importés peut être considéré comme originaire si les opérations locales atteignent ou dépassent le seuil requis ; et enfin les processus de production spécifiques, qui exigent que le produit ait subi des opérations de fabrication ou de transformation bien définies par les règles d’origine. Ces critères garantissent que seuls les produits ayant bénéficié d’une transformation significative au sein de la ZLECAf puissent profiter des préférences tarifaires prévues par l’Accord. Cette différence d’approche entre les CER et la ZLECAf peut ralentir voire freiner le projet d’intégration.
3. Les divergences normatives entre les CER et la ZLECAf s’agissant des autres barrières non tarifaires
Outre les règles d’origine, les exigences en matière d’étiquetage, certification et conformité varient entre les CER, compliquant la mise sur le marché des produits et augmentant les coûts pour les entreprises. Les normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) constituent également un autre frein à l’intégration. Tandis que la CEDEAO impose des standards stricts pour les importations agricoles, la CEEAC applique des normes plus souples. L’article 12 du Protocole sur le Commerce des Marchandises de la ZLECAF recommande l’identification, la classification, le suivi et l’élimination des barrières non-tarifaires conformément aux dispositions de l’Annexe 5 du présent Protocole sur les barrières non-tarifaires mais l’absence de mécanisme contraignant en ralentit l’application. Par ailleurs, les CER conservent une influence majeure sur la régulation du commerce. Elles imposent des normes techniques et douanières spécifiques, créant des barrières non tarifaires incompatibles avec l’objectif d’un marché unique. Leurs traités constitutifs prévoient des règles distinctes en matière d’importations, entraînant une fragmentation du marché. Par exemple, l’article 41 du traité révisé de la CEDEAO prévoit l’assouplissement des restrictions quantitatives uniquement pour ses États membres, limitant ainsi les échanges avec les autres pays africains. Ces quelques exemples de divergences normatives peuvent se révéler des freins à l’intégration économique africaine. Une harmonisation progressive des réglementations est essentielle pour favoriser le commerce intra-africain et atteindre les objectifs de la ZLECAF.
4. Quelle solution pour une meilleure harmonisation entre la ZLECAf et les CER ? : L’exemple du mécanisme en ligne de rapport, de suivi et d’élimination des barrières non tarifaires
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a mis en place mécanisme en ligne de rapport, de suivi et d'élimination des barrières non tarifaires permettant de faciliter le commerce grâce à la suppression des barrières non-tarifaires au commerce (BNT). Ce mécanisme en ligne est ouvert à tous les entrepreneurs africains: petites, moyennes et grandes entreprises, commerçants informels, femmes et jeunes entrepreneurs. Cette plateforme numérique centralise les données sur les BNT, ce qui facilite l’analyse des obstacles récurrents et permet aux autorités compétentes d’identifier rapidement les points de blocage. Grâce à ces informations, des mesures correctives peuvent être mises en œuvre, telles que la simplification des formalités administratives, l’harmonisation des procédures douanières et la mise en place d’un suivi renforcé entre les institutions nationales et régionales. Ainsi, en offrant un accès démocratisé et en temps réel aux informations sur les obstacles non tarifaires, la ZLECAf entend non seulement faciliter le commerce intra-africain, mais aussi renforcer la compétitivité des entreprises sur l’ensemble du continent.